Jusqu'au jour où un poisson devenu fou se met à dévorer tous les autres

En musique: Leonard Cohen - Avalanche

"C'est écrit dans l'ordre du monde. Dans le ciel liquide, dans la conjonction des planètes, dans la vibration des nombres. Il est écrit qu'aujourd'hui elle serait parvenue exactement là, au point de non retour, là où plus rien de normal ne peut modifier le cours des heures, là où rien ne peut advenir qui ne menace l'ensemble, ne remette tout en question. Il faut que quelque chose se passe. Quelque chose d'exceptionnel. Pour sortir de là. Pour que ça s'arrête."

Tout commence par la prophétie d'une diseuse de bonne aventure. Celle à qui l'on confie son destin lorsque l'on a besoin d'entrevoir une lumière qui ne vient pas. En espérant que l'irrationnel viendra éclairer ce que le monde brutal et réel nous assène.

Mathilde a perdu le sommeil et tout ce qui était facile autrefois a des allures d'épreuves insurmontables. Elle s'enfonce, poussée par l'acharnement d'un supérieur hiérarchique à l'ego mal placé, écrasée par un ballet de stratégies égoïstes, et observée par ceux qui, autour d'elle, n'osent réagir, de peur d'une éventuelle contagion du mal-être.

"De quoi tu aurais besoin, qu'est-ce qui te manque, qu'est-ce qui te ferait plaisir, à quoi tu rêves? Par une forme d'aveuglement provisoire ou d'irrévocable cécité, elle lui pose souvent ces questions. Ce genre de questions. Avec la candeur de ses vingt-huit ans. Ce soir il a failli lui répondre:
- Me tenir à la rambarde du balcon et hurler à en perdre haleine, tu crois que ce serait possible?
Mais il s'est tu."

Thibault est médecin dans la ville grise, il croise des symptômes et des douleurs. Thibault a perdu le sommeil et l'amour fou qu'il ressent ne reçoit pas d'écho. Il s'enferme dans les salles de bain pour que rien de sa peine n'aille contaminer l'extérieur.

Avec les Heures Souterraines, Delphine de Vigan nous raconte le glissement lent de Mathilde et Thibault, deux ombres engluées dans la tristesse du monde, et qui tentent malgré tout d'être les bons petits soldats d'une société sans état d'âme. Une descente implacable vers une solitude pesante et incomprise, au milieu d'une foule dense et agressive.

L'écriture est sobre, épurée, rapportant les faits avec la plus grande simplicité. Simplicité au travers de laquelle transpire une violence à laquelle on réalise que l'on s'est habitué. Au point que l'on peut tout à fait la lire sans la voir. C'est en se posant un peu que l'on réalise que cette violence choquante est partout et insidieuse, identique à ce que Delphine de Vigan décrit.

En dépit de sa gravité, ce livre n'est pas triste, il ne donne pas le cafard non plus. Une fois la dernière page passée, il donne envie de poser un regard plus attentionné sur ces personnes autour de nous que l'on côtoie sans y penser, sans imaginer que l'un d'eux glisse et qu'il mérite peut-être notre indulgence.

* Merci à Céline de m'avoir offert ce livre *

Comments

[Céline]

Contente de te retrouver sur les pages d'un blog ma tite cocotte...
Ce livre m'a marquée aussi, par cette violence psychologique que tu décris si bien.