Tu n'es pas obligé de lire ce billet, il est écrit pour un absent

En musique: F. Couperin - Leçons de ténèbres

Il y a les coucous qui donnent l'heure, et les dates qui donnent des coups au coeur. Aujourd'hui est un autre coup au coeur. Le coucou a sonné à une heure du matin pour que cette journée soit pleine et entière. Des fois que j'en rate un morceau.

Et je me fiche que l'on puisse se dire qu'avec le temps, il serait bien de passer au chapitre suivant. Ce livre n'est que le mien, et si ce chapitre est le dernier, qu'on me laisse le choisir. 

Il y a en moi quelque chose d'infiniment puissant qui refuse, et hoche la tête au regard de ceux-là qui voudraient que j'avance. Et je hurlerai ma douleur tant que j'aurai mal, avec cette tranquille conscience de ne déranger personne ou de ne forcer qui que ce soit à m'écouter; cette douleur a l'immense mérite d'être parfaitement silencieuse. 

J'écris, encore, pour toi et pour personne, parce que je n'ai pas de mots au fond de la gorge qui puissent être assez forts pour dire tout ça. Tu vois, Monsieur A me le disait encore récemment, "tu es une fille de silence qui écrit les mots pour ne pas laisser passer les émotions". Oui, c'est ça. Je suis la fille de silence de l'homme de silence. C'est toi qui l'a dit. Notre filiation est un fait. Et pour moi c'est une révélation. Elle arrive un peu tard, mais certains n'en ont jamais.

Je vis avec des photos. Dans le fond d'un placard. Avec un classeur que Maman a fait pour moi plein de trésors venus d'avant. Je n'ai rien ouvert de tout cela. Les jours où je me sens courageuse, j'ouvre la porte, et je m'arrête. Parce qu'il y a entre ce classeur, ces photos et moi, une armure colossale, quelque chose de bouillant qui me dit qu'il est trop tôt. Et un flot de larmes surgi de nulle part qui croit noyer ma peine alors qu'elle devient plus forte encore.

J'écris pour l'absent, l'homme invisible qui est un peu partout, à qui je pense tous les jours, et aujourd'hui un peu plus. 

J'irai à Bourg-la-Reine, comme d'habitude. Poser quelques fleurs et trouver cela ridicule. Et dire qu'il faut parfois que les gens nous abandonnent pour les aimer comme jamais. Oui, je trouve tout cela bien affligeant.

Au fond je crois que j'aurais préféré partir avant toi. 

Comments

[Chriss]

Comme je te comprends là justement alors que j'ai si peur de perdre mon père. Il n'a plus faim et maigrit à vue d'oeil.
Je te serre très fort.

[Philémon]

Personne ne peut t'obliger à avancer plus vite que tu ne le souhaites...
On a souvent parlé de ce que tu ressens, et de nos approches différentes. Chacune est respectable, chacune est liée à une histoire différente, mais l'important, c'est de garder intact l'émotion à revivre ces moments, à se souvenir et à faire vivre, j'allais dire grandir', ces histoires d'amour si particulières.
Je pense à toi bien fort en ce jour.